Hypothèse : introduction et installation par voie de fait dans un logement non occupé et vide de mobilier dans le laps de temps s’écoulant entre le départ d’un locataire et l’arrivée d’un nouveau locataire, en prévision d’une cession, d’une promotion, de travaux… ou d’un motif quelconque.

LA PROCÉDURE D'EXPULSION ADMINISTRATIVE D'UN SQUAT

L’article 38 al. 1er de la Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale était rédigé ainsi dans sa version primitive :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire… ».

En 2020, le législateur a modifié l’alinéa de ce texte, comme ceci :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale… ».

La difficulté posée concerne l’occupation par voie de fait d’un logement vacant qui ne constitue ni la résidence principale de son propriétaire, de son locataire, de son hébergé… ni sa résidence secondaire.

L’on entend par « vacant » un bien immobilier vide de meubles, non habité ni à titre de résidence principale, ni à titre de résidence secondaire. Par exemple, un logement non occupé dans le laps de temps s’écoulant entre le départ d’un locataire et l’arrivée d’un nouveau locataire, ou encore un logement non occupé en prévision d’une cession, d’une promotion, de travaux…

Dans cette hypothèse de vacance, somme toute habituelle, est-il possible de se prévaloir de la procédure d’expulsion administrative ?

UNE ORDONNANCE DU CONSEIL D'ÉTAT EN DATE DU 25 MARS 2021 RÉPOND À CETTE QUESTION :

Le conseil d’Etat conclut à une suspension des arrêtés de mise en demeure pris par le préfet du Pas de Calais, en relevant notamment que la notion de domicile n’était pas remplie, en raison du fait que les locaux d’habitation dont l’évacuation a été demandée par le préfet étaient vides de tout occupant avant que les squatteurs ne s’y installent avec leurs enfants. Et encore de préciser qu’aucun de ces locaux ne pouvait donc être qualifié de « domicile d’autrui » au sens de l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable. Le conseil d’Etat précise enfin que « la seule circonstance que le propriétaire des lieux ait déjà choisi des personnes à qui il entend les louer après réhabilitation n’est pas plus de nature à leur conférer cette même qualité. »

Autrement dit, un bailleur qui se verrait restituer les clefs le vendredi en ayant signé un nouveau bail à compter du lundi au profit d’un nouveau locataire, ne serait pas éligible à cette procédure si le logement était squatté le dimanche.

L’élargissement la notion de « domicile » à celle de résidence « non principale », au sens de ce texte, n’est donc pas été suffisante – peut-être à dessein – pour couvrir l’étroite brèche que constitue le logement « vacant ».

Il va sans dire que cette procédure n’est pas non plus applicable à un local commercial. La jurisprudence administrative donne une illustration en la matière, précisant que la procédure de l’article 38 « ne peut être mise en œuvre que pour évacuer les occupants sans titre des logements utilisés comme domicile par leur propriétaire ou un locataire ; qu’un local à usage commercial, s’il peut, dans certaines circonstances, être regardé comme abritant le domicile d’une société commerciale, ne peut être assimilé à un logement, qui est un local à usage exclusif d’habitation ».

LES DISPOSITIONS PÉNALES :

Les dispositions pénales en vigueur et plus précisément l’article 226-4 du code pénal, viendraient-elles remplir le vide laissé ?

La réponse est probablement négative. Il semble que la lecture de ce texte par les juridictions pénales, qui traite de « l’introduction dans le domicile d’autrui… » ne le permet pas.

En cas d’intrusion dans un local vide de meubles, les intéressés ne peuvent se voir reprocher une violation de domicile. Bien au contraire, une fois installés et les lieux garnis, ils peuvent prétendre être « chez eux ».

Si le maître des lieux s’aventurait à les déloger par la force, il se rendrait lui-même coupable du délit de violation de domicile. Mieux encore, l’article 226-4-2 du code pénal, créé par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, lui est spécialement dédié : « Le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’Etat dans les conditions prévues à l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

LES DISPOSITIONS DE PROCÉDURES CIVILES D'EXÉCUTION :

Reste donc la voie traditionnelle, celle précisément que le maître des lieux malheureux cherche en pratique à éviter, il s’agit de l’introduction d’une action en justice contradictoire devant une juridiction civile, de l’obtention d’un titre exécutoire puis du déroulement intégral du formalisme d’une procédure d’expulsion.

Deux mentions légales distinguent cependant le cas d’une intrusion par voie de fait d’un contentieux locatif classique :

  • D’une part, le délai de deux mois pour quitter les lieux visé dans le commandement signifié par huissier de justice « ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait » (article L412-1 du code des procédures civiles d’exécution al.2).
  • D’autre part, le sursis hivernal « ne s’applique pas lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait » (article L412-6 du code des procédures civiles d’exécution al. 2).

Et ce même texte de rajouter : « Le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au même premier alinéa lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans tout autre lieu que le domicile à l’aide des procédés mentionnés au deuxième alinéa. »

Le premier article emploie le terme « locaux », le second « domicile ».

La suppression « automatique » du sursis hivernal – c’est à dire sans mention spéciale du juge – ne vaudrait donc que pour l’introduction dans un « domicile » à l’exclusion de « tout autre lieu que le domicile ».

Or, il a été vu plus haut combien cette notion de domicile est appréciée de façon restrictive… précisément lorsque le logement est vacant…

Philippe CUNIN - Huissier de Justice associé

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